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Affiche de l'exposition : L'école en Algérie, L'Algérie à l'école

Une occasion unique de se replonger dans plus de 180 ans d’histoire de l’école en Algérie et en France et de croiser des destins d’écoliers, d’étudiants, d’enseignants, simples ou illustres, d’une rive à l’autre… Photos, tableaux, objets, documents et témoignages inédits nous font découvrir les réalités d’ici et d’ailleurs.

A consulter : la présentation de l’exposition “L’école en Algérie, L’Algérie à l’école” sur le site du musée national de l’éducation.

Si la très riche collection du Musée national de l’Éducation (MUNAÉ) est centrée sur l’éducation en France, elle s’attache également à garder une trace de ce qui s’est passé dans ses anciennes colonies, notamment en ce qui concerne la question scolaire. Cette dernière y est en effet cruciale pour mieux comprendre, y compris dans son héritage le plus contemporain, les rapports entre les sociétés, en l’occurrence ici de part et d’autre de la Méditerranée. C’est particulièrement le cas de l’Algérie, qui fut une colonie ancienne, la seule de peuplement. Son processus de libération fut marqué par la guerre et la violence. Ainsi, traiter de l’école en Algérie, dans ses relations avec la France, dénote une réelle ambition et une vraie responsabilité, tant cette histoire partagée a pu être complexe, difficile, régulièrement conflictuelle entre plusieurs systèmes d’enseignement, et aussi souvent douloureuse, mais pas seulement. Cette situation a en effet généré des mémoires qui sont multiples et plurielles. L’exposition les met particulièrement à l’honneur par l’intermédiaire de la diffusion de nombreux témoignages collectés pour l’occasion. Ils viennent émailler le parcours et contribuent à éclairer, approfondir ou nuancer un tableau qui n’est en rien manichéen. C’est bien là toute la richesse de l’exposition qui s’est largement appuyée sur un projet déjà longuement mûri dans le cadre de la préparation de l’ouverture, depuis
annulée, d’un Musée de l’Histoire de France et d’Algérie à Montpellier.

La (re)découverte et l’enrichissement des collections

Une des particularités de l’exposition est de faire très largement appel à des collections provenant de diverses institutions prestigieuses. Il a notamment fallu puiser dans la collection du Musée du Quai Branly – Jacques Chirac (Paris) pour pouvoir ouvrir le parcours sur la réalité de l’enseignement traditionnel coranique.​

Vue de la première section de l’exposition sur l’enseignement coranique traditionnel, ©Musée national de l’éducation - Réseau Canopé
Vue de la première section de l’exposition sur l’enseignement coranique traditionnel, ©Musée national de l’éducation - Réseau Canopé

Celui-ci préexistait à l’arrivée des Français à partir de 1830, n’a cessé de perdurer, souvent dans des conditions précaires, même ruiné et méprisé par les conquérants, a été soumis à des
tentatives d’hybridation avant de se rénover au fil du temps.
Pour cette première section, l’exposition a été l’occasion de retrouver dans la collection du MUNAÉ une très belle tablette coranique.

Tablette coranique, inv. 1979.08051 ©Musée national de l’éducation - Réseau Canopé

Elle provient du Musée pédagogique fondé par Jules Ferry en 1879, un des fonds constitutifs originels du Musée national de l’Éducation.

Les recherches ont également permis de découvrir un exemplaire conservé à la Fabrique des Savoirs à Elbeuf; son intérêt réside notamment dans l’inscription ajoutée au crayon : « souvenir de Kabylie 1856 », soit l’année du début de la conquête de cette région.
Outre la collection du Musée d’Histoire de France et d’Algérie, extrêmement bien représentée avec une quarantaine d’objets et documents présentés et de nombreux autres reproduits, ou de la maison méditerranéenne des sciences de l’homme – institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman avec environ 25 pièces, les archives nationales de l’Outre-Mer, également à Aix-en-Provence, ont consenti des prêts nombreux, par exemple des
documents d’archive sur l’école professionnelle de Dellys. Ces derniers viennent remarquablement contextualiser le grand tableau de Jean Geoffroy, dépôt du Fonds national d’art contemporain (CNAP) au MUNAÉ.

J. Geoffroy (1853-1924), École professionnelle à Dellys, travail du fer, 1899, dépôt du Fonds national d’art contemporain, inv. D2016.2.1 ©Musée national de l’éducation - Réseau Canopé
J. Geoffroy (1853-1924), École professionnelle à Dellys, travail du fer, 1899, dépôt du Fonds national d’art contemporain, inv. D2016.2.1 ©Musée national de l’éducation - Réseau Canopé

Le tableau a été commandité, avec quatre autres, balayant l’enseignement public, par le gouvernement de la IIIe République, en l’occurrence, comme il est mentionné sur le
cartel, par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, pour promouvoir l’apprentissage. Jean Geoffroy mettra plusieurs années à réaliser cet ensemble qui sera présenté dans son intégralité à l’Exposition universelle de 1900.

Le tableau conservé à Rouen présente au premier plan trois enfants : un jeune Européen à la forge, pour mettre en température le fer, aidé d’un autre dit alors Indigène, qui actionne le soufflet et un troisième, aussi Européen, utilisant un marteau sur l’enclume pour modeler le fer. Au second plan, se tiennent un homme de couleur plus âgé et des apprentis dont certains portent la chéchia. Cette scène illustre le développement de l’enseignement technique souhaité par Jules Ferry ainsi que l’intégration des jeunes musulmans à la nation française,
symbolisée au premier plan par ce rapprochement entre les deux jeunes à la forge.

L’oeuvre a été déposée dès 1902 par la Direction des Beaux-Arts au Musée pédagogique à Paris, puis au Musée de Cholet en 1924 et enfin au Musée national de l’Éducation depuis
1995. Régulièrement demandée en prêt, elle a fait l’objet d’une restauration en 2014 qui lui a redonné tout son éclat.

Si l’exposition repose sur un savant entrelacement de collections de diverses provenances, une section entière est réalisée avec des objets tous inscrits à l’inventaire du MUNAÉ, sachant que ce n’est qu’une toute petite sélection représentative parmi les milliers d’items conservés. Il s’agit de la partie montrant avec de nombreuses images très parlantes, le plus souvent colorées, comment l’Algérie occupe une place croissante au XIXe siècle et jusque tard dans le XXe, dans les manuels, la littérature et l’iconographie scolaire ou para-scolaire.

 

Vue de la section consacrée à l’Algérie enseignée aux petits Français. © Musée national de l’éducation - Réseau Canopé. (Paragraphe ci-dessous rédigé par Annie Hullin).
Vue de la section consacrée à l’Algérie enseignée aux petits Français. © Musée national de l’éducation - Réseau Canopé. (Paragraphe ci-dessous rédigé par Annie Hullin).

Ces documents montrent d’abord comment la conquête de l’Algérie a été présentée de manière très partiale aux jeunes Français. Elle est justifiée par les attaques des Turcs (dont le
fameux coup d’éventail du dey d’Alger à l’ambassadeur de France, omniprésent dans l’iconographie). Cette guerre longue et difficile est aussi décrite, de manière simplificatrice, comme une succession d’actes de courage de soldats français contre les attaques des Arabes
(Mazagran, Sidi-Brahim) ou comme un duel entre le général français Bugeaud et l’émir Abd el-Kader. L’Algérie coloniale ellemême apparaît comme un territoire bien français, à la fois dans les cartes des 3 départements et dans les textes glorifiant l’esprit d’entreprise des colons. L’iconographie scolaire exalte aussi l’exotisme de ce territoire pour faire rêver les enfants tout en mettant en valeur les richesses agricoles, minérales ou touristiques que la France peut en tirer. Enfin tous les documents glorifient l’oeuvre de la France en Algérie (construction de routes, modernisation des villes, construction d’écoles, etc.). Jamais ou presque, de 1850 à 1960, les enfants français ne peuvent apercevoir les contestations de la domination coloniale et les évolutions en cours dans la colonie.

La section consacrée aux réformes trop tardives a permis de s’intéresser aux journaux scolaires Freinet.

Vue partielle de la section consacrée aux réformes trop tardives. ©Marion Golmard
Vue partielle de la section consacrée aux réformes trop tardives. ©Marion Golmard

Si quelques exemplaires seulement sont présentés rue Eau-de-Robec, ce sujet va faire l’objet d’un zoom complémentaire à l’exposition au centre de ressources à partir du 4 décembre. Sur les quelques 26 000 journaux scolaires Freinet conservés par le MUNAÉ, 420 ont été réalisés en Algérie. Ils reflètent les sujets d’intérêt des enfants, permettent de brosser un tableau vivant de la vie quotidienne et de la situation économique et sociale en Algérie de 1954 à 1962. Il s’agit souvent de comptes rendus de sorties scolaires, d’évocation des travaux des champs (en Kabylie ou dans l’Oued Souf pour certains, dans les exploitations viticoles de l’Oranais ou agricoles de la Mitidja pour d’autres) ou encore d’évocation d’éléments culturels liés aux pratiques sociales, aux traditions et aux cultes des uns et des autres.

Enfin, l’exposition présente aussi des documents provenant de collections privées, notamment d’anciens coopérants qui sont restés, revenus ou ont choisi d’aller enseigner en Algérie après
l’indépendance, tant les relations entre les deux pays n’ont pas été stoppées totalement dans les années 1960. Certains de ces documents, dont l’équivalent n’existait pas dans la collection du musée national de l’éducation, ont d’ores et déjà été proposés en don et certains acceptés. C’est le cas de manuels ou de photographies par exemple et ils seront très prochainement entrés à l’inventaire.
De manière générale, les photographies ont été largement utilisées dans la scénographie de l’exposition alors que nombre de traces de cette histoire sont modestes visuellement. Elles permettent de donner corps au propos, en montrant les principaux acteurs de cette histoire, enfants ou enseignants, même s’il s’agit aussi souvent de compositions. C’est aussi le cas des témoignages pris par vidéo et qui constituent un des piliers de la présentation. Ils révèlent autant de trajectoires personnelles qui permettent de se retrouver dans cette complexité. La question se pose de la conservation de ces traces de vie enseignée et/ou enseignante, dans le cadre de la réflexion sur le patrimoine immatériel.