Note de lecture
À lire aussi : la présentation de cet ouvrage
Jean-Noël Luc, Jean-François Condette et Yves Verneuil
Histoire de l’enseignement en France, XIXe siècle – XXIe siècle
Armand Colin, 2020, 412 pages.
Jean-Noël Luc, Jean-François Condette et Yves Verneuil nous proposent une intéressante étude sur l’éducation dite scolaire entre le XIXe et le XXIe siècle. Cet ouvrage collectif s’articule autour de quatre parties, les trois premières étant chronologiques alors que la dernière est diachronique.
Après une introduction qui rappelle, entre autres, que la demande de scolarisation remonte au Moyen-Age et qu’elle se poursuit au fil des siècles, les auteurs dressent un tableau nuancé de la première période qui s’étend du Premier Empire aux années 1870.
Les principales mesures prises par Rendu, Guizot, Falloux et Duruy rythment la mise en place du système scolaire.
Or, en l’absence d’une vision nationale claire, sur le long terme, les évolutions sont lentes. Dans les classes primaires, les pratiques quotidiennes fluctuent dans un entre-deux pédagogique lié aux enseignants, aux méthodes utilisées … Mal formé, mal payé, le maître d’école voit sa condition s’améliorer quelque peu avec la construction d’une identité professionnelle et l’émergence d’un corps enseignant sous le Second Empire. Désormais, il est appelé instituteur. Se composant de multiples établissements, le secondaire scolarise peu d’élèves qui sont pour l’essentiel des garçons issus de milieux plutôt favorisés économiquement. Les conditions de vie au sein des établissements sont difficiles. Quant aux filles, peu nombreuses, elles fréquentent des maisons religieuses ou des institutions laïques. Pour ce qui est des enseignements, on assiste aussi à des changements. La domination des humanités est peu à peu remise en cause par l’introduction de nouvelles disciplines, telles les langues vivantes,… plus en adéquation avec les attentes de la société. Sortant de l’opposition école du peuple, école des notables, les auteurs reviennent ensuite sur les enseignements intermédiaires et professionnels moins connus. Ceux-ci se composent pour l’essentiel des écoles primaires supérieures, des cours spéciaux des lycées ou sont proposés dans des écoles professionnelles. Destinées aux garçons des classes moyennes, ces structures connaissent des fortunes diverses selon les régimes politiques. Quelques établissements spécifiques destinés aux filles voient le jour. Enfin, ce panorama ne saurait être complet sans l’étude de l’enseignement supérieur. Refondé sous Napoléon Ier, conservé par la monarchie avec un contrôle du religieux, le maillage universitaire se densifie lentement tout en restant modeste. Globalement, l’Université manque de moyens, ses enseignements sont inégaux et la recherche y est secondaire. Accueillant les fils de familles aisées, les étudiants y sont peu nombreux, les étudiantes encore plus rares. L’enseignement supérieur est complété par l’existence de quelques grandes écoles comme l’École des Ponts et Chaussées, l’École des Mines…
La deuxième partie intitulée De la République aux années noires (1880-1944) couvre la Troisième République et le Régime de Vichy.
Pour certains, la première période est considérée comme une sorte d’âge d’or du système scolaire. Outre la gratuité et l’obligation, la grande rupture demeure la laïcisation de l’école entamée en 1882. De nouveaux programmes laïcisés sont appliqués dans les classes. Des écoles sont construites. Le certificat d’études primaires sanctionne la fin du parcours scolaire de la communale. Des associations postscolaires encadrent les adolescents et les jeunes adultes au sortir de l’école. Un ordre primaire complet est instauré. Il va de la maternelle à l’école normale supérieure en passant successivement par la primaire, le primaire supérieur et l’école normale. Les « hussards noirs de la République » obtiennent le droit de se regrouper en amicale avant-guerre puis en syndicat après-guerre. L’enseignement technique se développe aussi puisqu’il offre un système complet allant du niveau élémentaire au niveau supérieur. C’est un instrument de promotion sociale pour les jeunes issus de milieux modestes. L’ordre secondaire reste dans le prolongement du siècle précédent malgré quelques évolutions. Sur fond de concurrence entre les établissements privés et publics, les effectifs croissent lentement. Les programmes des lycées et des collèges des filles sont alignés sur ceux des garçons. La mixité s’installe. Les professeurs jouissent d’un certain prestige. Concernant l’enseignement supérieur, le réseau d’universités reste stable entre 1896 et 1940. Cependant, des évolutions sont à noter dans le supérieur. Outre la rénovation des enseignements disciplinaires, l’approfondissement des cursus, la redéfinition des examens, on assiste à une augmentation du nombre de chaires ainsi qu’au développement de la recherche. D’autres filières se développent également. Bien que modeste, le nombre d’étudiants est multiplié par 5. Dans les colonies, le développement de l’enseignement supérieur est un échec, les coloniaux n’y étant pas favorables. Au cours de cette période, le système scolaire traverse les deux conflits mondiaux. Pendant la Grande Guerre, de nombreux enseignants et étudiants sont confrontés à l’épreuve du feu. Lorsqu’ils ne sont pas dans les tranchées, ils contribuent dans leur pratique quotidienne à diffuser l’amour de la patrie et tentent de mobiliser les familles pour poursuivre l’effort de guerre. Entre les deux guerres, dans un contexte international qui se tend, Jean Zay, ministre de l’Éducation sous le Front populaire apporte différentes innovations. Outre la scolarité désormais prolongée à 14 ans, il réorganise l’administration de son ministère en trois degrés (le primaire, le secondaire et les EPS et le supérieur). S’inspirant de l’éducation nouvelle, il expérimente, entre autres, un après-midi de loisir dirigé et met l’accent sur l’importance de l’éducation physique. Bien que le système éducatif ait sensiblement évolué sous la Troisième République, ses détracteurs formulent trois griefs à son égard. En ayant maintenu l’ordre primaire et l’ordre secondaire et renoncé à l’école unique, ce système demeure inégalitaire socialement. La deuxième faiblesse concerne la scolarisation des filles malgré la mixité. En hausse dans le secondaire, dans le technique et dans le supérieur, leur nombre demeure bien inférieur à celui des garçons. Enfin, s’appuyant sur une pédagogique traditionnelle, ce système n’intègre pas encore suffisamment les innovations (méthode Freinet en primaire…). À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la démocratisation du système reste inachevée.
Sous Vichy, le système éducatif est réformé au nom de la Révolution nationale. Une chasse aux sorcières touche environ 10 000 enseignants parmi lesquels des enseignants juifs, francs-maçons… L’école privée est la grande gagnante de cette séquence. Elle peut désormais percevoir les subventions des caisses des écoles et être aidée par les communes. Les EPS et EPCI disparaissent au profit des collèges modernes et techniques. Les écoles normales connaissent le même sort. En primaire, les nouveaux programmes insistant sur la chrétienté de la France sont mis en œuvre. La fin du régime de Vichy est synonyme d’une réforme générale du système scolaire à venir.
Celle-ci est l’objet de la troisième partie intitulée L’école de masse des trente glorieuses aux années 2010.
Les auteurs reviennent tout d’abord sur l’expansion scolaire de la libération aux années 1960. Dans une France qui s’urbanise, la scolarisation des enfants du Baby-boom appelle des transformations en primaire tout d’abord. Bien qu’encore empreint de l’école de la Troisième République, le visage de l’école élémentaire change. Le nombre de classes, tout comme celui des enseignants augmente. Cette croissance démographique, l’intérêt croissant des familles pour la scolarisation post-élémentaire ou bien encore le besoin d’une main d’œuvre qualifiée entraîne la massification du secondaire. Des mesures comme la gratuité du secondaire public, la fin des examens pour entrer en 6e … vont dans ce sens. En 1959, la loi Berthouin porte la scolarisation obligatoire à 16 ans. Au tournant des années 1960, les cours complémentaires disparaissent au profit des CEG 1 et les CES 2 sont créés en 1963. L’enseignement technique est lui aussi réorganisé. Cette démocratisation du secondaire entraîne une première vague de massification dans le supérieur avec comme corollaire, la création d’universités, le recrutement de personnels …
Les auteurs nous présentent ensuite les grands bouleversements en primaire, dans le secondaire ainsi que dans le supérieur après les événements de mai-juin 1968. En primaire, la métamorphose s’est poursuivie. Le public accueilli s’est élargi. L’enseignement préélémentaire s’est généralisé et a été rendu obligatoire en 2019. Afin de faire face à l’échec scolaire, différents dispositifs ont été imaginés et mis en place parmi lesquels la zone d’éducation prioritaire dans les années 1980. L’école doit aussi désormais inclure les élèves en situation de handicap. Les programmes ont été modifiés à plusieurs reprises. Enfin, les instituteurs et institutrices ont été remplacés par des professeurs des écoles qui sont en majorité des femmes dont les missions se sont diversifiées au fil du temps. Dans le second degré, la démocratisation du premier cycle commencée à la fin des années 1950 se termine avec la loi Haby qui met en place le collège unique. Face au nouveau public accueilli, les pratiques pédagogiques sont interrogées. D’un enseignement traditionnel, on s’appuie désormais davantage sur les nouvelles technologies dont le transparent dans les années 1990 ou le power point au XXIe siècle en sont, en autres, des symboles. Paradoxalement, le collège unique maintient une certaine diversité dans les parcours notamment pour les élèves en difficultés scolaires. Au cours de la période, le second cycle du second degré se massifie à son tour. À partir des années 1980, l’un des objectifs des différents ministres de l’Éducation nationale demeure l’obtention du bac pour 80 % d’une classe d’âge. L’une des dernières innovations est l’introduction de 40 % de contrôle continu dans l’obtention du précieux sésame. L’enseignement professionnel est l’objet de l’attention de certains ministres comme Jean-Pierre Chevènement qui souhaite le rendre plus attractif. Malheureusement cette voie demeure encore trop souvent un choix par défaut dans la stratégie de certaines familles. Tout comme en primaire, cette massification a eu pour conséquence d’augmenter le nombre d’enseignants. Ceux-ci se répartissent entre les titulaires du CAPES et de l’agrégation. Les difficultés du métier, la moindre considération ou la faiblesse des rémunérations complexifient le recrutement de professeurs dans certaines disciplines. L’enseignement supérieur qui repose sur l’université mais aussi sur de multiples établissements (Polytechnique, l’ENS…) a dû aussi s’adapter à cet afflux de public. En termes de structures, de nouvelles universités voient le jour. Au sein de celles-ci, l’offre des cursus se densifie et se diversifie. L’inscription des étudiants, titulaires du baccalauréat, est désormais déterminée depuis 2018 par un nouveau dispositif, Parcoursup. Pour autant, le décrochage universitaire subsiste. Un choix par défaut, l’obligation de travailler pour les étudiants les plus modestes économiquement expliquent, entre autres, ce phénomène et marquent aussi les limites de la démocratisation. Plus nombreux et disposant d’un capital culturel élevé, les enseignants sont moins présents dans la vie de la cité. Ils partagent leur temps entre l’enseignement, la recherche et les tâches administratives. Les universités françaises ont aligné leurs grades sur le système européen, LMD (licence, master, doctorat) qu’elles ont intégré. Au niveau mondial, les universités françaises ne sont pas bien placées dans le classement de Shanghai. Afin de relever ces défis, certains responsables prônent la fusion des établissements afin d’en faire des structures qui pèsent dans la compétition internationale tout en leur octroyant davantage d’autonomie. Le défi de l’université française est d’unifier un service public soucieux de réussite du plus grand nombre au sein des territoires tout en privilégiant la recherche et l’excellence.
Les principales évolutions du système éducatif depuis 1945 présentées, un tour d’horizon des grands enjeux qui traversent l’école au tournant du XXe et du XXIe siècle est dressé. Outre les questionnements sur la préservation de la mixité, les auteurs se penchent sur les moyens, la place et le rôle de l’enseignement privé dans le système éducatif français ou bien encore sur les atteintes auxquelles la laïcité est confrontée. Un éclairage particulier est aussi apporté sur le débat qui oppose les pédagogues tenant de la rénovation pédagogique et les « républicains » fervents défenseurs des compétences disciplinaires. L’école voit aussi son influence s’étendre sur d’autres sphères. En matière d’éducation spécialisée, on est passé de l’intégration des élèves handicapés à leur inclusion dans le système ordinaire. Concernant l’éducation surveillée, la rééducation en milieu semi-ouvert est préférée à l’enfermement. À l’inverse, les enseignants se sont désengagés de l’éducation populaire aux dépens d’animateurs socio-culturels. Dans un contexte d’assouplissement disciplinaire, le système scolaire doit aussi faire face à la montée de la violence dans certains établissements et à l’un de ses corolaires, le harcèlement qui fait l’objet d’une sensibilisation de la communauté éducative. Pour la gestion des établissements secondaires, l’une des grandes tendances est la mise en place d’une autonomie accrue pour plus d’efficacité. Certains syndicats dénoncent un risque de dérive managériale. Enfin, la sphère syndicale et celle des parents d’élèves connaissent, elles aussi, des mutations. Très présente dans les années 1980, la Fédération de l’Education Nationale a vu son influence reculer. Le paysage syndical est désormais morcelé entre des mouvements réformistes et d’autres plus contestataires. Chez les parents d’élèves, les grandes fédérations comme la FCPE (Fédération des Conseils des Parents d’Élèves) ou la PEEP (Parents d’Élèves de l’Éducation publique) sortent affaiblies de cette période, les parents se tournant dorénavant davantage vers des associations locales non affiliées.
La dernière ligne directrice de cet ouvrage est l’évolution séculaire de la scolarisation en France.
Les auteurs s’attardent tout d’abord sur l’ensemble des acteurs qui ont contribué à cette œuvre commune mais aussi aux différents facteurs qui l’ont rendue possible. Cette évolution s’est traduite par un allongement de la durée de la scolarité. Esquissées au début du XIXe siècle, les principales étapes de ce mouvement sont retracées dans les grandes lignes. L’expansion et la démocratisation ont entrainé des modifications de l’architecture mais aussi du fonctionnement scolaire. Le passage d’un système en ordre à un système en degré est un des principaux changements. La massification a aussi eu pour conséquences de questionner les contenus, les méthodes et les finalités de l’enseignement. Selon les acteurs de cette évolution séculaire, la massification avait pour objectif d’assurer plus de fluidité dans la hiérarchie sociale. L’idée était d’assurer une plus grande égalité des chances quelle que soit son origine sociale ou son degré de fortune. Or, l’école de masse synonyme de démocratie quantitative et de démocratie sexuée n’a pas donné tous les résultats escomptés ce qui a conduit les auteurs à parler de désenchantement scolaire à partir des années 1970. Cette tendance ne doit pas s’interpréter comme une simple crise de croissance du système scolaire mais a des origines plus profondes. L’iniquité dans la distribution des ressources éducatives, l’entre soi, l’apartheid scolaire du sociologue Georges Felouzis, la parité entre les deux sexes qui s’est souvent réduite à la mixité sont quelques-unes des carences avancées pour expliquer ce constat. La responsabilité de cette situation est collective. Pour certains, le ministère est le principal responsable avec la multiplication des réformes. À terme, ceci peut s’avérer démobilisateur pour les équipes qui œuvrent sur le terrain. D’autres désignent les syndicats qui ont tendance à privilégier l’intérêt des enseignants au détriment des élèves. D’autres encore s’attardent sur le rôle de certains parents considérés comme démissionnaires. Enfin, l’érosion du temps scolaire et la mise en place de la semaine des quatre jours sont aussi mises en avant. Cette évolution ne respecte pas le rythme de l’enfant.
Dans leur conclusion, les auteurs soulignent que l’approche historique est souvent citée à charge dans la crise actuelle que traverse le système éducatif français. Or, il convient de ne pas se méprendre sur son rôle. L’histoire n’a pas pour objectif de définir les voies que doit emprunter l’école de la république mais bien de rappeler ce qui a déjà été fait, que cela ait eu des apports négatifs ou positifs. La formation des élèves demeure une mission complexe faite de tâtonnements, d’échecs mais aussi de réussites.
Riche de données statistiques et de repères chronologiques, cet ouvrage passionnant nous propose une radiographie fort complète de l’évolution du système éducatif entre le XIXe et le XXIe siècle, très utile dans les débats actuels sur l’école.
Note de lecture de Franck Beauvalet
Professeur des écoles,
docteur en histoire,
administrateur des Amis du Musée national de l’Éducation
des musées de l’école et du patrimoine éducatif.
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